Par Kremlin.ru, CC BY 4.0

Lettre ouverte au président français

Le “Nouveau Macron” et le “gâchis” des étudiants africains fuyant l’Ukraine

Son Excellence Emmanuel Macron,

Je vous écris en votre double qualité de président de la République française et de président en exercice de l’Union européenne. J’attire par la présente votre attention sur la dégradation de la situation des étudiants africains et de pays tiers fuyant la guerre en Ukraine.

Le refus de l’Europe et de la France d’accorder à ces jeunes en détresse la possibilité d’achever leur formation occasionne un «gâchis humain»[1]. C’est le constat dressé le 7 juin 2022 par dix-sept associations et ONG françaises qui voient dans ce dossier “un non-sens politique”.

Ces organisations de la société civile française dénoncent un élément qui semble être la goutte d’eau qui fait déborder le vase: la France délivre aux étudiants d´États tiers une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sous trente jours. Ouvrant ainsi la voie à une procédure d’expulsion à leur encontre.

Ironie du sort où hasard de calendrier, trois jours après la sonnette d’alarme de la coalition d’associations et d’ONG, vous avez reçu le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall. Comme avec le président russe Vladimir Poutine, la libération des stocks de blé, bloqués dans les ports ukrainiens, était au menu des discussions et la situation des étudiants rejetés par l’Europe a été éludée.

L’élément nouveau cette fois-ci, c’est que vous avez avec votre homologue africain condamné «les crimes» que commettrait le groupe russe Wagner sur «certaines communautés» comme par exemple les Peuls. «Il faut que Wagner parte» du Mali, a déclaré la présidence française.

Monsieur le président,

Je vous suis sincèrement reconnaissant de vous préoccuper de la sécurité et de l’intégrité des Peuls qui se trouvent à des milliers de kilomètres de la France. Mais, votre discours ne gagnerait-il pas davantage en sincérité si vous voliez au secours des enfants de ces Peuls qui vous appellent à l’aide à deux pas de l’Elysée?

Lors du débat de l’entre-deux tours qui vous a opposé à Marine Le Pen en avril dernier, vous avez fait cette déclaration au sujet de l’Afrique: «C’est un continent auquel je tiens». Vous vous êtes vanté d’avoir refondé les relations avec ce continent “en regardant avec lucidité notre histoire”.

L’histoire est à un tournant décisif avec le traitement que l’Europe officielle, sous votre présidence, réserve aux ressortissants d’États tiers, en particulier Africains. En ce 21e siècle, c’est une honte pour l’humanité toute entière que nous devrions vous écrire pour demander d’accorder aux étudiants d’Afrique et de pays tiers la possibilité d’achever leurs études, au moment où la même Europe accueille à bras ouverts leurs homologues de nationalité ukrainienne fuyant la même guerre.

Tout le monde ne naît pas blond aux yeux bleus. Le secours aux victimes de guerre ne doit pas être fonction de la nationalité. Si la protection que nous demandons à ces étudiants en mettant en avant les considérations humanitaires et solidaires est si difficile à accorder par l’Europe, elle ne devrait pas résister aux considérations historiques. Les arrières-grands-parents de ces jeunes ont, à un moment donné de l’histoire, payé de leurs vies pour que la France et l’Europe soient ce qu’elles sont aujourd’hui. Octroyer un titre de séjour aux Africains pour poursuivre leurs études le temps de la guerre ne serait qu’un retour louable de l’ascenseur.

Monsieur le président,

Vous avez la possibilité d’arrêter la descente aux enfers des étudiants d’États tiers fuyant l’Ukraine. Vous avez la possibilité de leur redonner l’espoir perdu depuis le 24 février 2022, date du déclenchement de la guerre. Il suffit de le vouloir sincèrement.

Je suis navré de devoir m’adresser à vous pour venir en aide aux milliers d’Africains alors que l’Union africaine existe. Rassurez-vous, ce n’est pas du tout de gaîté de cœur. Mais un jour, ça changera.

Si vous vous décidez à agir par humanité, solidarité ou reconnaissance du sacrifice des ancêtres de ces étudiants pour la France, en leur octroyant une protection dans toute l’Europe, le monde le saura. Si vous optez pour le silence, ces étudiants d’États tiers s’en contenteront malgré eux. Mais ce silence fera tâche pour l’histoire.

Dans le camp de ceux qui se mobilisent pour faire triompher la dignité humaine, l’heure n’est pas au relâchement. Nous lançons cette semaine une pétition pour demander à l’Union européenne la mise en place d’un dispositif ad hoc pour trouver une solution commune aux ressortissants de pays tiers fuyant l’Ukraine. J’espère que vous appuierez la démarche auprès de vos pairs des 27 membres de l’EU et des États Schengen, au nom de ce continent auquel vous clamez haut et fort tenir.

Si malgré tout, l’Europe viendrait à expulser les ressortissants africains dont nombre ne demandent qu’à achever leur formation, ces derniers seront accueillis avec honneur et dignité sur leur terre natale. Et, l’histoire ne l’oubliera pas.

Sion, Suisse, le 12 juin 2022

Etonam Ahianyo, Journaliste, Africain, Coordinateur de l’initiative Save Africans-Ukraine

Contact : +41 78 243 09 10 / www.saveafricans-ukraine.ch

 

 


[1] https://www.lacimade.org/presse/pas-de-repit-en-france-pour-les-etranger-es-dukraine/

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